«Frère numéro un.» C’est ainsi que l’on surnommait Saloth Sar, alias Pol Pot.
L’ancien étudiant des bancs de l’université française, descendant d’une famille sino-khmer, fut l’instigateur d’un des régimes les plus féroces de l’histoire du communisme. Entre 1975 et 1979, le Cambodge, sous la férule de Pol Pot, bascula dans l’horreur de la déportation de masse, l’esclavage et l’extermination. Durant ces sombres années, au moins 1,7 million de personnes perdront la vie, soit 20 % de la population cambodgienne à l’époque. Ce dimanche correspond au vingtième anniversaire de la mort du dictateur.
Passage en France
Les historiens comme le Britannique Philip Short s’accordent à brosser le portrait d’un étudiant séduisant devenu, par la suite, le promoteur d’une des utopies les plus meurtrières de l’histoire. Né le 19 mai 1928, dans la province de Kampong Thom, au sein d’une famille paysanne plutôt aisée, Saloth Sar était un adolescent un peu timide, mais aussi rieur et populaire. «C’était un bouddhiste qui n’aimait pas la bagarre», racontait son frère Saloth Neap au Figaro, en 1999. «C’était l’intellectuel de la famille», précisait-il.
Après un passage éclair à Phnom Penh, le jeune homme reçoit une bourse d’études pour la France où il suit des études techniques d’électricité, sans toutefois obtenir de diplôme. «C’est en France qu’il a changé», affirmait son frère dans cette même interviex au Figaro. Lycéen médiocre et effacé, Saloth Sar développe ses relations et rejoint rapidement des cercles communistes. Il y côtoie ses futurs compagnons de lutte et de pouvoir, comme Khieu Samphan, Son Sen ou encore Ieng Sary.
L’ancien dictateur à «la tête de l’Etat le plus autocratique du XXe siècle»
En 1954, les Français se retirent d’Indochine. Le roi Norodom Sihanouk est nommé à la tête de l’État et la monarchie est restaurée au Cambodge. Saloth Sar s’oppose au nouveau pouvoir et entre dans un parti communiste de faible envergure, le «parti révolutionnaire du peuple khmer» qui devient, par la suite, le «parti communiste du Kampuchéa», l’organe politique des khmers rouges. En 1962, il est élu secrétaire du comité central du parti. Avec le soutien de la Chine, l’étoile montante du mouvement communiste cambodgien forme les premiers combattants khmers rouges. Après le coup d’État raté du maréchal Lon Nol, Pol Pot prend le pouvoir en 1975. Il dirige, dans l’ombre, un des régimes les plus meurtriers de l’histoire, ne révélant son identité que tardivement. La population considère alors les khmers rouges, emmenés par le «frère numéro un», comme une force libératrice. Mais l’horizon cambodgien s’assombrit brusquement.
1975 est considérée comme l’année zéro du régime. Les Khmers rouges imposent rapidement un régime totalitaire. Tous les individus liés au gouvernement précédent sont éliminés. Les habitants des villes – «lieu de la contamination impérialiste» – sont contraints d’aller travailler à la campagne. Le régime sera particulièrement sévère avec la population urbaine et les intellectuels. Vouant une haine incommensurable aux Vietnamiens, toute personne ayant un lien quelconque avec eux sera persécutée. C’est aussi le cas pour les individus ayant reçu une éducation ou manifestant une appartenance religieuse quelconque.
Pol Pot fait assassiner les instituteurs, les médecins et même les myopes, dont les lunettes étaient le signe d’une impardonnable contamination occidentale.
L’homme à «la tête de l’État le plus autocratique du XXe siècle» souhaitait «le communisme intégral “en un quart d’heure”», explique l’historien Jean-Louis Margolin au Figaro.
Techniciens, ingénieurs, corps enseignants, étudiants, ministres, militaires, diplomates étrangers, bonzes… passeront par la tristement célèbre prison de Tuol Sleng aussi appelée S-21. Entre les murs de l’ancien lycée, les «présumés opposants» au régime sont torturés pour obtenir de faux aveux. L’arrestation est, en soi, une preuve suffisante de leur culpabilité. Enchaînés par dizaines, les prisonniers sont torturés deux à trois fois par jour. Une grande partie des prisonniers est ensuite envoyée aux «camps de la mort» situés aux abords de la capitale, pour y être «détruits», selon la terminologie du régime. Dans ce lieu d’exécution et ce charnier, comme dans celui de Choeung Ek, ils sont battus à mort ou jetés encore vivant dans des fosses communes. Assassinés, torturés, affamés, épuisés de travail et de déplacements sous contrainte, 1,7 million de personnes seront victimes de ce génocide. «J’ai la conscience tranquille», déclarait pourtant Pol Pot au journaliste américain Nate Thayer en 1997 lors d’une des deux seules interviews jamais accordées.
La chute
En 1978, le Vietnam envahit le Cambodge dans le but de renverser le régime de Pol Pot. L’armée avance rapidement et, le 11 janvier 1979, un nouveau gouvernement est formé par d’anciens khmers rouges opposés à leur leader. Le dictateur et ses fidèles s’enfuient alors dans la jungle où ils organisent une guérilla contre le nouveau régime pro-vietnamien. Mais ce mouvement se marginalise progressivement. Condamné à mort par contumace par les autorités pour les crimes commis pendant son règne, Pol Pot disparaît à la fin des années 1990. Ses anciens camarades le retrouvent, en juillet 1997, affaibli par la malaria et d’importants problèmes de santé. Il est arrêté par ses propres troupes sur ordre de son rival, Ta Mok, pour l’assassinat de Son Sen, l’ancien chef de la sûreté du Kampuchéa démocratique. Le dictateur aux tendances paranoïaques est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il passe ses derniers mois en résidence surveillée. Personne ne sait s’il vivait encore avec sa deuxième femme et son seul enfant, une fille prénommée Sar Patchata que Le Figaro avait rencontrée en 2007.
La mort du dictateur reste entourée de nombreuses zones d’ombre. Il serait décédé le 15 avril 1998 à l’âge de 72 ans, officiellement d’une crise cardiaque mais probablement après «un suicide» selon l’historien Jean-Louis Margolin. Son corps a été incinéré peu après, avec ses effets personnels, sur un lit de pneus. La dépouille du despote ayant été incinérée très rapidement, la nature exacte du décès reste sujette à controverse.
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