Leurs héros sont faux. En 1994, le directeur de l’Hôtel des Mille Collines sauve 1 268 personnes du génocide. Une bravoure célébrée par hollywood, mais contestée par les rescapés.
Bernard Makuza était réfugié au Mille Collines. Il est par ailleurs hutu, ce que personne ne mentionne plus à l’heure où la reconstruction nationale passe par l’oubli des distinctions prétendument ethniques. « Paul Rusesabagina, un héros ? Les militaires et les miliciens venaient boire des coups avec lui, il exigeait que l’on paye les chambres. C’est héroïque d’exiger du liquide, des chèques ou des reconnaissances de dette de la part de réfugiés dont les familles, dehors, se font massacrer ? »
Le deuxième personnage de l’Etat rwandais est, selon Paul Rusesabagina, l’exemple même de l’agent « manipulé » par le président Kagamé. Comme Wellars Gasamagera, ancien sénateur, qui s’est retrouvé à dormir dans le couloir de l’hôtel, faute d’avoir eu de quoi payer sa chambre. « Ceux qui n’avaient pas d’argent sortaient sans résistance, raconte-t-il. Les gens étaient hébétés. On s’accrochait à un semblant de sécurité. Dormir dans un couloir quand la mort vous attend, quelle importance ? »
Alexis Vuningoma, ancien employé au Mille Collines, ou Cyrille Ntaganira, avocat au barreau du Rwanda, sont-il « manipulés » eux aussi ? « Tous les jours on attendait la mort, dit celui-ci. La seule question était : comment ? Les machettes terrorisaient. Dans l’hôtel, ça ne criait pas, ça ne pleurait pas, ça sentait la mort. On faisait ce qu’on nous disait. Quand Rusesabagina est venu nous dire qu’il fallait payer, j’ai pu rester car on était une quinzaine dans la chambre et l’un d’entre nous lui a signé une reconnaissance de dette. »
Ces anciens réfugiés rêvent d’un autre film hollywoodien « qui raconte la vérité ». L’un d’eux, Edouard Kayihura, devenu avocat aux Etats-Unis, mais néanmoins « totalement aux mains du régime »,selon Paul Rusesabagina, a publié un livre, Inside the Hotel Rwanda (2014, BenBella Books), qui a pour Hollywood un inconvénient majeur : il est dépourvu de héros. Tous disent cependant retrouver dans ce livre leur vraie histoire.
Source : Le Monde
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