En politique, certains penchent vers ceux pour qui l’ordre doit être imposé à tout prix, ce sont les conservateurs. Certains penchent vers ceux pour qui l’égalité doit être appliquée à tout prix, ce sont les progressistes. Les libéraux se retrouvent parfois avec les conservateurs et d’autres fois avec les progressistes, mais la plupart du temps ils sont isolés et peu représentés dans le paysage politique. (…)
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En tant que libéral je suis souvent frustré dans mes discussions avec des progressistes ou des conservateurs parce qu’ils ne se soucient pas de ce qui compte pour moi (et le sentiment est réciproque.) Par exemple quand je parle avec un conservateur du mariage gay ou de l’immigration, il croit systématiquement que je ramène tout à l’économique et que je dénigre le politique. De mon côté, j’ai tendance à penser qu’il réduit le politique à l’État et qu’il dénigre la puissance du marché comme facteur de régulation et de coopération. Quand je parle d’économie avec un progressiste et que je plaide pour une réglementation du travail plus souple, il m’accuse facilement de défendre l’oppression des travailleurs tandis que je le soupçonne de haïr la liberté.
Il est tentant de penser que nos opposants sont autoritaires, fascistes, racistes, homophobes etc. Nous avons beaucoup de mal à entendre leurs arguments et nous les rejetons d’emblée comme manifestement erronés, stupides, immoraux. Nos désaccords viennent-ils d’erreurs de bonne foi ou de la méchanceté et de la stupidité d’autrui ?
En réalité, sans nier qu’il existe de réels clivages philosophiques, nous ne parlons pas la même langue. Car la politique est habituellement une affaire de tribus et donc aussi de dialectes. La plupart du temps, la politique n’est pas pratiquée comme un effort pour changer l’esprit de nos adversaires ou de nos alliés, mais comme un moyen de renforcer notre statut au sein de la tribu. La politique récompense ce type de comportement tribal et contribue à polariser davantage les débats (voir sur ce point l’Annexe à la fin de l’article).
L’hypothèse de Kling est que nous avons l’habitude naturelle de voir le monde sur un axe unique avec une extrémité qui représente le bien et l’autre qui représente le mal. Et dès lors qu’une personne est en désaccord avec nous, elle doit se trouver à l’autre bout de l’axe, dans le camp du mal. On sait déjà fort bien que ce type de polarisation fonctionne à plein avec les religions. Le fait de se trouver dans un camp religieux (ou de rejeter toute religion), incite à penser que ceux des autres camps sont forcément stupides et incapables de raisonner correctement.
Or pour Arnold Kling, la politique fonctionne exactement de la même manière. Les camps opposés jugent le monde selon des axes perpendiculaires et parlent ainsi des langues différentes. Chaque camp voit une réalité donnée et l’interprète d’une manière cohérente pour lui mais qui semble néanmoins incompréhensible, ou sans importance pour les autres. Et nous réalisons rarement que le langage politique que nous utilisons implique une vision du monde selon un certain axe de valeurs.
C’est pourquoi quand nous pratiquons notre propre langue dans une discussion avec un partisan d’un autre camp, le dialogue ne passe plus. Pire, il tourne très vite à l’affrontement verbal et aux insultes. Chacun réagissant au désaccord en criant encore plus fort dans une langue que l’autre ne comprend pas.
Typologie des familles politiques (a)
1° Pour les progressistes, les problèmes de société sont envisagés principalement comme des rapports de domination, des formes d’oppression des faibles par les forts. Et par oppression, il faut entendre, en tout premier lieu l’absence d’égalité, pas seulement formelle mais aussi et surtout matérielle. Par ailleurs, ils pensent en termes de groupes. Ainsi, certains groupes de personnes sont les opprimés, et certains groupes de personnes sont les oppresseurs. Le bien implique de s’aligner contre l’oppression et les personnages historiques qui ont amélioré le monde ont lutté contre l’oppression, c’est-à-dire contre les inégalités. Les progressistes ont tendance à vénérer la science. Ils croient que la science peut faire avancer leur projet d’amélioration de la société et de l’homme. Ils mettent les sciences sociales à égalité avec les sciences physiques et en font un guide de l’action publique.
2° Le deuxième axe est celui des conservateurs. Chez eux le bien s’identifie au fait de défendre les valeurs et les institutions traditionnelles qui se sont accumulées au cours de l’histoire et qui ont résisté à l’épreuve du temps. Et le mal est incarné par les barbares qui tentent de s’opposer à ces valeurs et qui veulent détruire la civilisation. Les conservateurs sont très disposés à voir l’utopie comme une menace qui ne peut être arrêtée que par l’autorité politique. Ils voient la barbarie comme étant une inclination de la nature humaine d’où la nécessité de recourir aux institutions politiques pour protéger la civilisation. Alors que les progressistes sont moins préoccupés par l’utopie, car ils ont tendance à voir les humains comme intrinsèquement bons, mais simplement affaiblis par l’oppression. Du point de vue de l’axe civilisation/barbarie, il faut s’opposer à la légalisation de la marijuana, à l’avortement et au mariage homosexuel dans la mesure où l’on pense que l’avenir de la civilisation en dépend, ou du moins qu’elle risque d’en sortir affaiblie.
3° Le troisième axe est celui des libéraux (libéraux classiques ou libertariens). La principale menace étant pour eux l’empiétement du pouvoir sur les choix individuels. Le bien consiste dans la possibilité pour les individus de faire leurs propres choix, de contracter librement entre eux et d’en assumer la responsabilité. Le mal réside dans l’initiative de la menace physique, en particulier de la part des gouvernements, contre des individus qui ne portent préjudice à personne, sinon éventuellement à eux-mêmes. Pour eux, la coercition sous quelque forme que ce soit, y compris celle des gouvernements, est plus un problème qu’une solution. Chacun a le droit de décider pour lui-même ce qui est meilleur pour lui et d’agir selon ses préférences, tant qu’il respecte le droit des autres à faire de même. Le corollaire de ce principe est le suivant : « personne n’a le droit d’engager une agression contre la personne ou propriété de quelqu’un d’autre ». L’usage de la force ne se justifie qu’en cas de légitime défense. Pour le reste, il faut s’en tenir à la persuasion.
Typologie des familles politiques (b)
1° Les progressistes croient en l’amélioration de l’espèce humaine. Ils croient en une perfectibilité quasi illimitée dans le domaine matériel et, plus important encore, dans le domaine moral et politique. En revanche, pour eux les marchés sont sujets à des échecs inéluctables. Le succès des hommes d’affaire reflète souvent la chance et peut s’avérer être la récompense injuste d’une forme d’exploitation. Mais ces défaillances peuvent et doivent être traités par les interventions du pouvoir politique : la redistribution, la fiscalité, les réglementations.
2° Les conservateurs croient dans la faiblesse humaine. En termes bibliques, l’homme est « originellement pécheur ». Ce côté sombre de la nature humaine ne sera jamais éradiqué. Mais il peut être domestiqué par les institutions sociales, notamment la famille, la religion et l’autorité politique. Supprimez ces institutions et ce qui émerge est Sa majesté des Mouches (le roman de William Golding). C’est pourquoi ils sont enclins à vénérer le passé, notamment les traditions et l’ordre établi. Les conservateurs reconnaissent aisément avec les libéraux que les marchés récompensent les vertus de prudence et de patience. Mais ils les accusent systématiquement de saper les traditions culturelles, en mettant la vulgarité à égalité avec le sublime, sans hiérarchisation morale. Ils voient dans la défense libérale du marché une promotion de la marchandisation du monde et de l’humain.
3° Les libéraux voient la nature humaine comme imparfaite, corruptible, mais éducable. Ils croient en une rationalité humaine limitée. Tant qu’ils respectent la propriété d’autrui, les individus sont les meilleurs juges de leurs intérêts et il faut les laisser libres de les poursuivre. C’est pourquoi les libéraux refusent l’idée un gouvernement qui ferait le bien à la place des gens. En revanche, ils pensent que les dysfonctionnements du pouvoir politique et les interventions excessives de la loi représentent une menace pour la paix, bien plus grande que les dysfonctionnements du marché. Le marché s’auto-régule dans le temps par le mécanisme de la concurrence, l’Etat non car il exerce un monopole. Il tend à s’accroître de façon exponentielle. Par ailleurs, les libéraux sont enclins à penser la technologie comme une force libératrice dont les effets néfastes sont largement compensés par les bénéfices estimés. Enfin ils considèrent que les marchés encouragent la coopération pacifique parce que chaque échange volontaire profite aux deux parties. Et l’ensemble de ces échanges volontaires crée une prospérité qui profite au plus grand nombre.
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